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Michel Piquemal, « Heureux sans DIeu ni Religion » : un pétard mouillé…

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Comment, après les récents attentats qui ont touché notre République en sa chair et en ses symboles, comment ne pas trouver séduisante l’idée d’un monde enfin libéré de la tutelle divine ? Comment ne pas se dire que nous vivrions heureux ou, à tout le moins, moins malheureux dans une société débarrassée de cette chimère qu’est la religion ? Cet ouvrage, apparemment, prend le pari, pas très risqué il faut le dire, de l’hypothèse d’un monde heureux sans dieu ni religion. Tel est le propos du titre. Cependant, à mon sens, ce livre comporte deux écueils majeurs. D’un part, il ne répond pas à ce que le titre semble nous promettre, ce qui indique un problème de cohérence, et d’autre part, il est écrit un siècle trop tard, de telle sorte que son lectorat ne peut raisonnablement être constitué que de personnes ayant atteint un âge canonique voire le trépas. Expliquons donc un peu ces deux points et commençons par le deuxième qui concerne, avons-nous dit, le caractère anachronique de ce texte.

Un texte, disait Jacques Derrida, « n’est un texte que s’il cache au premier regard, au premier venu, la loi de sa composition et la règle de son jeu ». Quelque chose, qui est l’essentiel du texte, doit rester comme chiffré, scellé sous le sous du secret. Et, par conséquent, le livre, le texte, se doit d’être une promesse, quelque chose qui a, par avance, trait à l’avenir. Raison pour laquelle un bon texte est toujours intempestif et ses destinataires contemporains toujours peu nombreux car ils sont à la toute pointe du cône de notre temps qui pénètre déjà cet avenir auquel le texte est promis, dont le texte est la promesse. Rien de tel dans l’ouvrage de Michel Piquemal où tout ce qui est dit à propos du rapport entre le politique et le religieux aurait eu son heure et son heur en 1905 lors de la promulgation tempétueuse de la loi de la laïcité. En effet, Michel Piquemal, tout au long de son livre, se fait l’ardent défenseur de cette fameuse et essentielle loi de la laïcité. Qui le lui reprocherait ? Les fondamentalistes me direz-vous. Certes, mais ce livre ne peut être écrit pour eux. Cet ouvrage est un long plaidoyer en faveur de la laïcité, de l’esprit de tolérance, et s’oppose donc à l’obscurantisme religieux et de l’absolutisation neutralisante et liberticide qu’implique la croyance en une entité omnipotente. A vrai dire, « plaidoyer » n’est pas le bon terme, car il s’agit plutôt de la reprise, de la récupération de l’opinion populaire et de ses invectives (pour une part légitime) à l’égard de la religion en général. Rien ne manque à ce florilège, à ce pot pourri d’idées reprises et sans cesses ressassées, mais rien ne s’en dégage non plus si ce n’est l’insistante et lourde odeur du déjà trop ressenti, entendu. Il nous est dit qu’un athée peut avoir des valeurs et mêmes de hautes valeurs et qu’il ne sert à rien, pour ce faire, d’embrasser l’ordre religieux. Contester ce point serait le trait de la folie. Il nous est dit que la religion s’est toujours, historiquement, compromise avec le pouvoir pour mieux asseoir sa domination. Il faudrait être inculte pour critiquer ce point. Tout ce qui est dit en faveur de la laïcité nous ne le savons que trop et pour ne pas y adhérer il faudrait être soit déraisonnable soit de totale mauvaise foi. Comme l’ouvrage ne saurait être lu par ces deux types de personnes (et s’il l’était il ne serait nullement efficace), il ne saurait s’adresser à elles. En d’autres termes, ce livre enfonce des portes très largement ouvertes. On nous rétorquera, bien entendu nous pressentons l’objection du lecteur qui piétine derrière son écran, que ces portes là sont justement en train de se refermer et qu’il est l’heure, précisément, de rappeler certaines évidences qui, visiblement, n’en sont plus. Hélas, ces évidences ne peuvent pas le devenir pour ceux contre qui l’ouvrage est écrit. Et pour ceux pour qui l’ouvrage est écrit, ces « évidences », de toute évidence, devraient être traitées et repensées à un tout autre niveau d’analyse. C’est pourquoi ce livre aurait eu sa place et sa chance s’il avait été publié en 1905 là où il s’agissait vraiment d’installer et de légitimer la séparation de l’Eglise et de l’Etat par la loi de la laïcité. Cela dit, ce livre a toute sa raison d’être et sa nécessité s’il devait ou pouvait être lu, et d’abord publié, dans les pays (ils sont nombreux hélas) qui n’ont pas adopté ce sage système de la séparation du religieux et du politique. Mais si tel n’est pas le cas, alors, à notre sens, il ne se légitime pas réellement.

Venons enfin au second point qui était notre premier point relevé. Ce livre, disions-nous, ne tient pas ses promesses. Il ne nous est pas dit comment ni pourquoi l’on pourrait être heureux sans Dieu ni religion. Les athées, fort nombreux sous nos latitudes, ne semblent pas plus heureux que les croyants. La France est peut-être la fille ainée de l’Eglise, mais elle ne compte pourtant pas tant de croyants que cela et pourtant c’est nous, français athée et matérialistes, qui consommons le plus d’anxiolytique. Je voulais juste montrer par cet argument que si l’on s’en tient à ce genre d’évidences ou de banalités on peut très bien « démontrer » que l’on serait heureux sans L’Etat et la Laïcité. Lorsque l’on voit des matchs sportifs qui donnent lieu à de véritables affrontements au cours desquels de nombreuses personnes perdent la vie, cela ne se fait pas au non du Dieu unique que je sache et personne pourtant n’a encore écrit de livre intitulé « Heureux sans sport ni compétition » (je devrais m’y mettre). Sont-ce les religions qui permettent à de tristes sires (Dominique Strauss Khan en est un exemple éclatant et paradigmatique) de se jouer de la justice et de poursuivre leur existence en toute impunité ? N’est ce pas là plutôt le signe que quelque chose est pourri dans cette belle société laïque gangrénée jusqu’à l’os par le pouvoir et l’argent ? Et puis, à bien y réfléchir, et c’est cela qu’il nous faudrait faire (et non relayer les ragots du café du commerce), gagnerions nous tant que cela à être heureux ? En voilà une question qu’elle est bonne ! L’essentiel, nous dit Kant, n’est pas tant d’être heureux que de se rendre digne de l’être. Car ce n’est pas pour son malheur que l’homme est malheureux. Ayant conscience de son malheur l’homme fait des efforts pour améliorer sa condition et se met ainsi sur la voie du progrès et, du moins le croit-il, du bonheur. Au fond, le bonheur (n’) est (qu’) un horizon et l’on pourrait se demander ce qu’il adviendrait d’une société qui serait effectivement heureuse, si tant est qu’une telle chose puisse exister. Encore faudrait-il, (problème intéressant) s’interroger sur le sens du bonheur. Qu’entendons-nous par là ? Que veut dire être heureux ? Et en quel sens le bonheur pourrait-il mieux se conjuguer à la société laïque libérale qu’à une société religieuse ? Voilà les questions que nous aurions voulu voir développées dans ce livre. Michel Piquemal nous parle d’un bonheur accessible ici et maintenant dans le cadre d’une société réellement et clairement laïcisée, et d’autant plus heureuse qu’elle serait finalement délestée du spectre de la religion. Or, nous ne voyons rien de tel et le capitalisme libéral, qui semble tenir lieu de religion pour une société athée, ne nous donne en guise de bonheur que la satisfaction consumériste de danser sans cesse autour du veau d’or de la consommation.

En conclusion, s’il est facile de montrer que Dieu et la Religion ont fait le malheur des hommes, alors il faut admettre qu’ils auraient pu, qu’ils pourraient, qu’ils peuvent faire leur bonheur. Et comme l’on peut dire la même chose de l’Etat et de la politique, alors ces deux instances renvoyant, selon la terminologie augustinienne, à la cité céleste pour l’une et la cité terrestre pour l’autre, ne doivent pas être incriminées relativement à notre bonheur ou à notre malheur. Ce ne sont jamais ni l’Etat, ni l’Eglise, ni Dieu, ni les Lois qui agissent, mais seulement nous-mêmes. Raison pour laquelle, nous ferions bien de repenser l’Etat, l’Eglise, Dieu et les Lois afin de faire dialoguer ces différentes dimensions, toutes essentielles à notre existence, et tâcher ainsi, en répondant d’elles, de faire montre d’un peu plus de responsabilité et de sagesse. Et cette tâche nécessite une approche analytique, disons philosophique, que n’a pas su produire cet ouvrage…

Hervé Bonnet

Michel Piquemal, Heureux sans Dieu ni Religion, éditions Hugo Doc,13,95 euros.


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